Homélie du Père Maître de Sept-Fons, le dimanche 11 décembre 2011, 3e dimanche de l’Avent, A.

Notre Seigneur lui-même a dit de saint Jean-Baptiste qu’il était le plus grand parmi les enfants des hommes. C’est une déclaration qui peut surprendre. Plus grand qu’Abraham, que Jacob, Moïse, Samuel, le roi David !
Plus grand que les grands prophètes et les Apôtres !

L’Eglise lui a toujours donné cette préséance et l’iconographie chrétienne le place tout de suite après la Bienheureuse Vierge Marie.
Pourquoi ?
Notre Seigneur l’a comparé à Elie, ses contemporains l’ont pris pour Elie, pourtant sa place dans les Evangiles est réduite, et sa mort précoce. Il n’est pas mort directement pour le Seigneur Jésus Christ, comme le diacre saint Etienne ou les saints Innocents. Il est mort de manière obscure, dans une prison ; vengeance de femmes, les pires qui soient. Son rôle paraît presque mineur, du moins à un regard superficiel.

Saint Jean-Baptiste aurait donc été une sorte d’huissier, celui qui introduit, d’une voix puissante, les grands de ce monde au cours d’une réception.
Sa chance aurait été d’avoir introduit, sans presque le savoir, le Fils de Dieu dans notre monde ; et sa malchance, d’avoir dû l’annoncer à un peuple hostile et ingrat.

Dans toute l’Ecriture, il n’y a rien de plus tragique, hormis la passion du Seigneur, que cette voix de Jean-Baptiste qui s’élève du fond de son cachot pour demander au Sauveur, la confirmation de ce qu’il doit, lui, Jean, affirmer alors que sa mission est déjà accomplie.

Il y a, dans cette épreuve de Jean-Baptiste, seul, face à la mort, une image de nos épreuves à nous ; face au mystère de notre propre vocation monastique, nous devons nous tenir résolus, comme lui-même s’est tenu, dans une marche persévérante, dans l’incertitude, dans la nuit.

A l’époque de saint Jean-Baptiste les pharisiens avaient usurpé la chaire de Moïse depuis presque cent ans. Ils étaient nés à l’époque des Maccabées.
Quand on y réfléchit, c’est impressionnant de constater qu’ils avaient été suscités Dieu pour donner à Dieu, au temps voulu, un peuple bien disposé. Aucun tournant n’a été manqué comme le leur. Au lieu de disposer le peuple à accueillir le messie, ils l’ont préparé à accueillir un messie selon leur idée ; eux-mêmes.

L’histoire sainte nous raconte ce passage manqué. Le roi Alexandre Jannée avait percé à jour leur fourberie et s’était imposé à eux, mais, avant de mourir, devant la faiblesse de ses héritiers, il avait conseillé à sa femme et à ses fils de collaborer avec eux. C’est à partir de cette époque qu’ils ont inculqué, sans retenue, au Peuple saint, au Peuple élu, leurs mensonges.

C’est donc à un peuple mal disposé, parce que trompé, que Jean-Baptiste adresse son message.
C’est donc ici qu’il faut s’interroger.

Vous venez d’élire un abbé et vous allez le fêter solennellement, « en grande pompe », dirais-je ! Vous avez raison ; mais pour que cela ne soit pas un rite banal, quelconque, il faut que cette célébration de demain repose sur des bases solides.
Que deviendront plus tard, ici ou à Sept-Fons, dans trente ans, tel frère, telle génération ? Seront-ils les serviteurs de la vie monastique ou ses contempteurs ?
Le monde, l’Eglise, la vie monastique, de tout temps et plus encore du nôtre, sont traversés par des courants flatteurs, qui trouvent complicité dans nos cœurs.
Jean-Baptiste comme tant d’autres, aurait pu se prendre pour le messie. Il aurait été un faux messie. Il a consenti à n’être que le héraut, le Précurseur – celui qui marche devant – l’ami de l’époux que résume le beau mot grec de coryphée. Mais alors sa destinée s’est perdue, comme doit se perdre la nôtre, dans l’effacement, l’accomplissement d’une tâche austère, dans l’ombre.
Nous vous avons transmis une vie monastique, nous vous avons donné et vous donnons une formation humaine, intellectuelle et spirituelle, bref, un héritage précieux et de grande valeur, puisant aux sources sûres, où nous avons nous mêmes puisé. Qu’en faites-vous, qu’en ferez-vous ?

Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ?
Un roseau agité par le vent ?
un homme vêtu de vêtement somptueux ?
un prophète ?
Bien plus qu’un prophète …
Que celui qui a des oreilles, entende !


11 décembre 2011